Le député d’Hochelaga-Maisonneuve Alexandre Leduc a déposé le mercredi 4 mai dernier à l’Assemblée nationale un projet de loi qui a pour but de moderniser les dispositions anti-briseurs de grève déjà existantes.
Avec la pandémie, le monde du travail a changé. De plus en plus de travailleuses et travailleurs sont en télétravail et plusieurs employeurs désirent que cette mesure soit permanente. Il faut donc modifier la notion « d’établissement », c’est-à-dire le lieu où le travail est exercé pour y inclure tous les endroits où une personne est appelée à travailler que ce soit chez lui, dans un espace de cotravail ou au bureau. C’est ce trou dans les dispositions anti-briseurs de grève que le projet de loi de M. Leduc voudrait combler.
Historique
Depuis des décennies, nous avons au Québec des lois du travail qui ont comme effet de réduire le nombre et la durée des conflits de travail, en assurant un certain équilibre des rapports de force entre patrons et salariés. C’était notamment l’objectif recherché par le gouvernement de René-Lévesque, lorsqu’il a adopté en 1977 des dispositions anti-briseurs de grève. Cet ajout au Code du travail est survenu après plusieurs conflits de travail houleux.
Plusieurs années plus tard, au tournant des années 2010, les conflits de travail au Journal de Montréal et au Journal de Québec sont toutefois venus troubler cet équilibre. Pendant ces deux lock-out, l’employeur a confié le travail de ses salariés à des briseurs de grève qui ne travaillaient pas physiquement dans ses bureaux. On parle de journalistes qui remplaçaient ceux en lock-out et qui écrivaient, notamment, leurs articles de chez eux, en télétravail.
Les tribunaux avaient alors concédé que ces travailleurs de remplacement n’étaient pas des briseurs de grève parce qu’ils ne travaillaient pas physiquement dans « l’établissement » de l’employeur.
Pandémie
Depuis mars 2020, le télétravail s’est répandu de manière fulgurante dans nos milieux de travail. Si la notion « d’établissement », qui se limite aux lieux physiques, était désuète en 2010, elle l’est d’autant plus aujourd’hui !
Or, cette désuétude a le potentiel de déstabiliser sérieusement les rapports de force dans les relations de travail, surtout dans un contexte où les prochaines négociations risquent d’être ardues, en raison de de l’inflation galopante qui hypothèque le pouvoir d’achat des travailleurs.
Rééquilibrage
L’an dernier, la section locale Unifor 177 a obtenu gain de cause devant le Tribunal administratif du travail (TAT), qui a renversé la jurisprudence de 2010 datant des conflits du Journal de Montréal et du Journal de Québec. En prenant notamment en considération le contexte de la pandémie et la nouvelle omniprésence du télétravail, le tribunal a élargi son interprétation de la notion d’établissement, ce qui a eu pour effet d’interdire le recours aux briseurs de grève, même lorsqu’ils exécutent leurs tâches en télétravail.
Cette décision a redonné leur sens aux dispositions anti-briseurs de grève de 1977 et a même été saluée par le ministre du Travail, Jean Boulet, qui a affirmé qu’elle était compatible avec sa propre lecture du droit du travail. Mais cette reconnaissance ne demeure que des paroles et le risque demeure qu’une longue saga judiciaire s’en suive autour des dispositions anti-briseurs de grève. L’employeur américain reconnu fautif dans cette affaire a d’ailleurs déjà porté la décision en appel.
Le ministre a donc tout intérêt à laisser la partisanerie politique de côté et à accueillir favorablement le projet de loi d’Alexandre Leduc.
-Pierrick Choinière-Lapointe, directeur exécutif du Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau (SEPB-Québec)
-Marc Glogowski, responsable politique du Comité d’action sociale et politique (CASP-SEPB)